Cosa mentale. Les imaginaires de la télépathie dans l'art du xxe siècle

Edvard Munch, Madonna, 1895. Paris, Centre Pompidou, Musée national d’Art moderne
© Centre Pompidou, MNAM-CCI, Dist. RMN-Grand Palais / Georges Meguerditchian
Metz le 4 décembre 2015.
Art et télépathie : ce sont là deux termes que l’historiographie a eu rarement l’occasion de croiser. Il s’agit pourtant d’une piste innovante et féconde pour comprendre les transformations de l’art au xxe siècle. Inédite en son genre, l’exposition Cosa mentale propose de relire l’histoire de l’art de 1880 à nos jours, à travers la fascination des artistes pour une transmission directe et non conventionnelle de la pensée et des émotions.
Sous cet angle, le projet de l’avant-garde est moins de défaire le grand mensonge de la peinture (en finir avec l’illusionnisme du trompe-l’oeil et les artifices conventionnels de la représentation) que d’inventer une nouvelle relation, immédiate, entre l’artiste et le spectateur. Suivant un parcours chronologique allant du symbolisme à l’art conceptuel, l’exposition réunit une centaine d’oeuvres d’artistes majeurs, d’Edvard Munch à Vassily Kandinsky, de Joan Miró à Sigmar Polke, qui proposent de nouveaux modes d’échanges avec le spectateur, au-delà des canaux sensoriels et des codes langagiers habituels.
L’exposition permet de comprendre comment, tout au long du xxe siècle, les tentatives pour matérialiser et rendre visibles les processus de la pensée coïncident avec les expérimentations des avant-gardes artistiques.
Contemporaine du développement technologique des communications à distance (de la TSF aux préfigurations de la télévision), mais aussi de la diffusion du concept d’avantgarde dans les cercles artistiques, la télépathie abolit la distance entre les êtres, réduit les obstacles de compréhension et les ambivalences de traduction. Ce fantasme d’une projection directe de la pensée a non seulement un impact décisif sur la naissance de l’abstraction, mais influence le surréalisme et son obsession pour le partage collectif de la création ou, dans l’après-guerre, la multiplication d’installations visuelles et sonores motivées par la révolution de l’information, avant d’annoncer la « dématérialisation de l’art » dans les pratiques conceptuelles.
La télépathie est, en ce sens, un modèle alternatif permettant de renouveler l’interprétation culturelle des grandes ruptures de l’art moderne, à la lumière des rapprochements entre art, perception, psychologie et imaginaires de la communication.
Il faut pour cela revenir sur la définition qu’en donne Frederic Myers, pour la toute première fois, en décembre 1882, dans un compte-rendu de la Society for Psychical Research de Londres, quand l’étude de la psychologie se frotte à l’essor des télécommunications : « Tout cas d’impression reçue à distance sans l’aide des organes sensibles reconnus. »
Des tentatives de « photographie de la pensée » vers 1895 aux premiers « encéphalogrammes » en 1924 (l’année de la parution du Manifeste du Surréalisme), c’est l’activité même du cerveau qui se donne à voir en toute transparence et pousse les artistes à abattre les conventions de la représentation en supprimant toute contrainte de traduction.
Loin de rester une obscure fantaisie paranormale, la télépathie ne cesse d’intriguer et de subjuguer les artistes tout au long du xxe siècle. Elle est anti-conventionnelle dans sa manière de court-circuiter les usages et les vocabulaires classiques de la représentation, dans sa façon aussi de sortir le sujet des limites et des apories du langage. Elle rejoint, en cela, un des enjeux poétiques de la modernité : la performance des échanges.
Omniprésente dans l’univers de la science-fiction, elle refait surface dans l’art psychédélique et conceptuel des années 1960-70, avant de resurgir aujourd’hui dans des pratiques contemporaines envoûtées par les technologies de la « connaissance partagée » et l’essor des neurosciences. La télépathie porte l’espoir d’une communication sans perte ni altération, sans risque de méprise et donc de discorde. Sous ce régime, l’expérience esthétique peut se vivre comme une relation idéale, parce qu’au maximum de sa puissance d’efficacité, dans une fusion optimale entre l’artiste, l’oeuvre et le spectateur, devenue la métaphore sensible d’une communauté harmonieuse, sans conflits – même si l’optimisme de cette transparence unificatrice laisse rapidement deviner une face plus obscure, flirtant avec de multiples dérives autoritaires ou totalitaires.
Cosa mentale. Les imaginaires de la télépathie dans l’art du xxe siècle. Du 28 octobre 2015 au 28 mars 2016. Galerie 3 du Centre Pompidou-Metz. Commissaire : Pascal Rousseau, professeur d’histoire de l’art contemporain à l’Université de Paris I Panthéon Sorbonne. Pascal Rousseau a également été commissaire des expositions Robert Delaunay. De l’impressionnisme à l’abstraction, 1906-1914 au Centre Pompidou (1999) et Aux origines de l’abstraction (1800-1914) au Musée d’Orsay (2003). Chef de projet : Julie Schweitzer. Scénographe : Jean-Julien Simonot, assisté d’Anna Larré. Conception lumière : Abraxas Concepts – Philippe Collet. Conception graphique Polymago : Juliette Weisbuch et son équipe. Édition : Claire Bonnevie. Noémie Gotti, chargée de communication et Presse. Contact journalistes : Christine Anglade-Pirzadeh et Caroline Decaux.
Publié par Félix José Hernández.

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